Charles-Georges Coqueley de Chaussepierre : Le chansonnier du vide et l’audace littéraire du "Roué Vertueux"

 Charles-Georges Coqueley de Chaussepierre : Le chansonnier du vide et l’audace littéraire du "Roué Vertueux"

Charles-Georges Coqueley de Chaussepierre (1711-1791) est une figure singulière de la littérature française du XVIIIe siècle. Chansonnier et écrivain, il est surtout connu pour son ouvrage Le Roué Vertueux, publié en 1770. Ce texte se distingue non pas par la richesse de son contenu, mais par son audace littéraire unique : l’auteur s’est volontairement abstenu de produire un texte, faisant de cette œuvre une sorte de canular littéraire ou de provocation artistique avant l’heure.

Un chansonnier parmi tant d'autres

Coqueley de Chaussepierre n'était pas un écrivain de premier plan ni un nom largement reconnu dans les salons littéraires de l'époque. Toutefois, en tant que chansonnier, il s'inscrit dans la tradition populaire des poètes et satiristes qui, à travers leurs chansons et pamphlets, prenaient plaisir à commenter la société, la politique et les mœurs de leur époque. Ces chansonniers avaient un rôle important dans la culture publique, entre divertissement et critique sociale.

Mais Coqueley de Chaussepierre, loin d’adopter les formes classiques et les vers ciselés de ses contemporains, fait preuve d'une ironie et d'un humour désarmant dans Le Roué Vertueux, œuvre à laquelle il doit sa notoriété (même si elle reste marginale).

Le Roué Vertueux : L’œuvre du rien

Publié en 1770, Le Roué Vertueux est composé de quatre chants, illustrés et accompagnés de quelques indications scéniques. Ce qui rend cette œuvre totalement unique, c’est que le texte, censé accompagner les illustrations et définir l’action, est pratiquement inexistant. Dans sa préface, Coqueley de Chaussepierre se justifie avec une phrase qui pourrait passer pour une déclaration de défi à la critique littéraire de son temps : « En n'y mettant rien on ne pourra pas en critiquer le style. »

Cette approche, presque nihiliste, est une véritable audace pour l’époque. Elle semble anticiper, avec une distance ironique, des démarches littéraires qui ne verront le jour qu’au XXe siècle, comme le surréalisme ou le concept d'anti-roman. Coqueley de Chaussepierre invite implicitement ses lecteurs à se questionner sur la valeur même du texte, sur la substance d’une œuvre littéraire, et sur la place que le style tient dans la création.

Provocation ou humour ?

La décision de ne rien écrire dans Le Roué Vertueux n’était pas qu’une simple blague ou un acte de paresse. Coqueley de Chaussepierre, en se dérobant à l’exercice traditionnel d’écriture, questionnait en réalité la littérature elle-même. En cette fin de XVIIIe siècle, alors que les Lumières battent leur plein et que l’intellectuel est roi, la vacuité volontaire de son œuvre résonne comme une forme de rébellion.

Les lecteurs de l’époque ont probablement vu dans Le Roué Vertueux une farce littéraire, un exercice d’humour grinçant, qui témoignait d’un certain mépris pour les codes rigides de la poésie ou du théâtre classique. L’auteur s’inscrit dans une tradition de satiristes impertinents qui prennent plaisir à ridiculiser les attentes sociales et littéraires.

Une œuvre avant-gardiste ?

Il est tentant de voir dans l’audace de Coqueley de Chaussepierre une forme d’avant-garde. Bien que ses motivations aient sans doute été plus ludiques que véritablement philosophiques, il n’en reste pas moins que Le Roué Vertueux pose des questions étonnamment modernes sur le sens de l’art et sur la place du créateur face à ses œuvres.

En renonçant à « mettre quelque chose », l’auteur force le lecteur à combler les vides, à projeter ses propres idées, ou à rire du rien. Ce geste littéraire n'est pas sans rappeler les démarches artistiques des avant-gardes du XXe siècle, où l’absence, le silence, ou l’absurde deviennent des moyens d’expression à part entière.

La postérité d’un geste audacieux

Charles-Georges Coqueley de Chaussepierre n’a pas laissé une grande empreinte dans la littérature, mais Le Roué Vertueux reste un exemple fascinant d’expérimentation littéraire avant la lettre. Son approche iconoclaste, loin des canons littéraires de son époque, peut être vue comme un reflet de la liberté d’expression et de pensée qui caractérise la fin du siècle des Lumières.

S'il n'a pas acquis la célébrité de ses contemporains comme Voltaire ou Rousseau, Coqueley de Chaussepierre, avec cette œuvre inachevée ou plutôt volontairement non écrite, a pourtant marqué l’histoire de la littérature par son humour et sa subversion discrète. Le Roué Vertueux peut être vu comme un pied de nez à la gravité de la création littéraire, un geste simple mais profondément subversif, un rappel que l’absence de texte peut, en soi, devenir une forme d’expression.

Commentaires