L'affaire Schwartzbard

 L'affaire Schwartzbard est un événement marquant de l'entre-deux-guerres, survenu à Paris le 25 mai 1926, lorsque Sholem Schwartzbard, militant révolutionnaire juif d'origine ukrainienne, assassine Symon Petlioura, une figure éminente de l'indépendance ukrainienne. Ce meurtre, bien qu'il ait eu lieu loin de l'Ukraine, plonge ses racines dans les violents bouleversements qui secouèrent l'Europe de l'Est après la Première Guerre mondiale, notamment les pogroms qui ont visé les communautés juives.

Contexte historique

Symon Petlioura (1879-1926) est un leader ukrainien socialiste et indépendantiste. Il a dirigé la République populaire ukrainienne pendant la guerre civile qui a suivi la révolution russe de 1917 et l'effondrement de l'Empire russe. Dans cette période de chaos, marquée par des conflits entre forces bolcheviques, nationalistes ukrainiennes, armées blanches (tsaristes) et autres factions, de nombreuses violences ont éclaté.

Petlioura et ses troupes ont combattu pour l'indépendance de l'Ukraine, mais son régime est accusé d'avoir toléré ou été complice de pogroms qui ont causé la mort de milliers de Juifs ukrainiens, bien que lui-même ait officiellement dénoncé ces violences. Pour beaucoup, notamment parmi les Juifs ukrainiens, Petlioura est resté une figure controversée, associée aux souffrances de ces années.

Sholem Schwartzbard et son acte

Sholem Schwartzbard (1886-1938) est un militant révolutionnaire d'origine juive, né en Ukraine dans une famille juive orthodoxe. Il a été témoin direct des pogroms perpétrés dans son pays natal, lors desquels plusieurs membres de sa famille, dont ses parents, ont été tués. Profondément marqué par ces événements, Schwartzbard émigre en France après avoir participé à la révolution bolchevique.

Le 25 mai 1926, alors qu'il réside à Paris, Schwartzbard reconnaît Symon Petlioura dans une rue parisienne. Ce dernier, en exil depuis la défaite de son régime, vit discrètement en France. Schwartzbard, le tenant pour responsable des pogroms qui ont dévasté la communauté juive ukrainienne, l'aborde et lui demande en yiddish : « Es hot zeynerhebt Yidn? » (« Est-ce toi qui as tué des Juifs ? »). Sans attendre de réponse, il sort un revolver et tire à plusieurs reprises sur Petlioura, le tuant sur le coup.

Le procès de Sholem Schwartzbard

L'assassinat de Petlioura secoue le monde politique de l'époque. Schwartzbard est immédiatement arrêté et traduit en justice. Son procès devient un événement majeur, divisé entre ceux qui considèrent Petlioura comme un héros de l'indépendance ukrainienne et ceux qui le voient comme un responsable indirect des atrocités commises contre les Juifs.

Schwartzbard ne nie pas son acte et affirme avoir agi pour venger les 100 000 Juifs ukrainiens morts durant les pogroms, qu'il attribue directement à Petlioura. Il soutient que son geste était une forme de justice pour ces victimes et un acte symbolique contre l'antisémitisme.

Le procès se déroule dans une atmosphère tendue, où les débats sur la culpabilité de Petlioura dans les pogroms prennent une place centrale. De nombreux témoignages sont apportés pour prouver l'implication, ou la non-implication, de Petlioura dans ces violences.

Le verdict et ses répercussions

Le 26 octobre 1927, Sholem Schwartzbard est finalement acquitté par le tribunal français, à la surprise de beaucoup. Son geste est perçu par une partie de l'opinion comme une réponse légitime aux violences antisémites perpétrées contre les Juifs en Ukraine. Son acquittement est salué par de nombreux Juifs à travers l'Europe, qui voient en lui un vengeur des pogroms.

Cependant, pour les nationalistes ukrainiens, cet acquittement est une injustice. Ils considèrent Petlioura comme un héros de la cause indépendantiste et voient en Schwartzbard un meurtrier motivé par la haine politique. L'affaire alimente durablement les tensions entre Juifs et Ukrainiens dans l'exil parisien.

Conclusion

L'affaire Schwartzbard incarne la complexité des conflits de l'époque, où la lutte pour l'indépendance nationale s'est souvent accompagnée de violences ethniques. Le meurtre de Symon Petlioura par Sholem Schwartzbard a non seulement mis en lumière les horreurs des pogroms, mais aussi le dilemme moral de la justice par vengeance. Schwartzbard, à la fois meurtrier et vengeur aux yeux de l'opinion publique, a marqué l'histoire en transformant son procès en un symbole des souffrances de son peuple.

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