Un Instant de Vérité dans la Prairie : Une Rencontre Poignante avec un Vieil Artiste

 C’était une belle après-midi, mon fils Grégoire et moi nous promenions dans la prairie qui bordait notre quartier. Le soleil illuminait les herbes hautes et les fleurs sauvages, et l'air était rempli du chant des oiseaux. Nous suivions un petit sentier sinueux lorsqu’un tableau inattendu s’offrit à nos yeux : un vieil homme, pinceau à la main, assis devant un chevalet, contemplait avec attention l'œuvre qu’il peignait.

Intrigué, Grégoire, avec la candeur propre aux enfants, s'approcha de lui et s’exclama :

- Il n'est pas beau ton dessin !

Le vieil artiste, loin de se vexer, lui répondit avec un sourire bienveillant :

- Et pourquoi donc, mon enfant ?

- Il n'y a pas d'arbres, c'est tout gris, répondit Grégoire d'un ton assuré.

Le peintre, amusé, lui demanda :

- Dis-moi, fiston, que vois-tu dans le ciel ?

- Ben, un peu de nuages et des oiseaux, répondit-il après un moment de réflexion.

Le vieil homme me lança un clin d'œil complice avant de poursuivre :

- Ma vue est si fatiguée, je n'ai pas la chance de les voir. Et quoi encore ?

Grégoire, avec l’enthousiasme qui lui est propre, continua :

- Des arbres, des fleurs de toutes les couleurs, des bêtes qui volent, y’a même des papillons !

Un éclat de rire secoua le peintre, mais il ne parvint pas à masquer la tristesse qui s'empara de lui, et une larme glissa sur sa joue qu’il essuya d’un geste rapide.

- Des papillons aux couleurs de l'arc-en-ciel, hein ? murmura-t-il. Tu les entends voler ?

- Ben... non, répondit Grégoire, déconcerté.

Le vieil homme soupira profondément avant de se confier :

- Quand j'avais ton âge, je les entendais battre des ailes, je les voyais illuminer le printemps. C'était magnifique.

Son regard se perdit un instant dans un passé lointain, avant qu'il ne retrouve son sourire et ne revienne à la réalité.

- Tu vois, petit, tous les matins, je regarde autour de moi et ce tableau représente ce long travail d'observation. Tu as raison, il n'est pas beau, mais je ne peux rien y faire. Les arbres, ils sont maintenant derrière des immeubles. Les fleurs, elles sont confinées dans des vases. Et les oiseaux, pour la plupart, vivent en cages.

Ses paroles résonnèrent en moi comme un écho douloureux de la réalité. Nous prîmes congé de lui ce jour-là, sans vraiment comprendre la profondeur de ses mots, ni imaginer que nous ne le reverrions jamais.

Quelques mois plus tard, un projet immobilier s’était installé à la place de ce coin de paradis. Je me demandais combien de fois cet homme avait observé, avec une précision méticuleuse, chaque détail de la faune et de la flore qui habitaient cet endroit. Les couleurs changeantes des saisons, les sons subtils, les parfums éphémères... Tout cela n'était plus qu'un souvenir lointain.

Alors que nous nous apprêtions à quitter la prairie pour la dernière fois, une brise légère fit danser les feuilles autour de nous. Un papillon passa près de moi, et cette fois, je crus entendre le doux murmure de ses ailes.

J.A Carlson



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